enfer

enfer
(an-fèr) s. m.
   Terme des anciennes religions polythéistiques. Lieu souterrain qu'habitaient les âmes des morts. Les enfers comprenaient le Tartare pour les méchants, et les Champs-Élysées pour les justes.
   Je saurai le braver jusque dans les enfers, CORN. Cinna, II, 2.
   L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie ; Pluton sort de son trône, il pâlit, il s'écrie, BOILEAU Longin, sublime, VII.
   Il précipite dans les enfers une foule de combattants, FÉN. Tél. XX..
   Monstre que dans nos bras les enfers ont jeté, RAC. Iph. v, 4.
   Tu peux faire trembler la terre sous tes pas, Des enfers déchaînés allumer la colère, J. B. ROUSS. Cantate, Circé..
   Devant le vestibule, aux portes des enfers, Habitent les soucis et les regrets amers, Et des remords rongeurs l'escorte vengeresse...., DELILLE Énéide, VI.
   Les trois juges des enfers, Minos, Éaque et Rhadamanthe.
   Les filles d'enfer, les furies.
   Eh bien, filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents...., RAC. Andr. v, 5.
   En ce sens, enfer se dit le plus souvent au pluriel.
   Lieu destiné au supplice des damnés, dans la religion chrétienne ; on dit dans le même sens, au pluriel, les enfers. Le feu de l'enfer.
   La bouche de l'enfer est toujours ouverte, et les grands et les petits, les forts et les faibles, les riches et les pauvres y entrent pêle-mêle à tous moments, NICOLE Ess. mor. 3e traité, ch. 5.
   L'enfer est le centre des damnés comme les ténèbres sont le centre de ceux qui fuient le jour, NICOLE ib. 2e traité, ch. 10.
   Ne trouvant donc point de lieu qui lui soit plus propre et qui lui soit moins pénible que l'enfer, elle [l'âme pécheresse] s'y précipite comme dans son centre et dans le lieu seul qui lui est convenable, NICOLE ib. 2e traité, ch. 10.
   Mais il est aux enfers des chaudières bouillantes Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes, MOL. Éc. des fem. III, 2.
   Qui a le plus de sujet de craindre l'enfer, ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de damnation, s'il y en a ; ou celui qui est dans une persuasion certaine qu'il y a un enfer et dans l'espérance d'être sauvé, s'il est ?, PASC. Pensées, part. II, art. 3.
   [Alexandre] tourmenté par son ambition durant sa vie, et tourmenté maintenant dans les enfers, où il porte la peine éternelle d'avoir voulu se faire adorer comme un dieu soit par orgueil, soit par politique, BOSSUET la Vallière..
   Mais lorsqu'en sa malice un pécheur obstiné, Des horreurs de l'enfer vainement étonné, BOILEAU Ép. XII.
   Je reviendrai bientôt par un heureux baptême T'arracher aux enfers et te rendre à toi-même, VOLT. Zaïre, III, 4.
   L'Enfer, titre d'une des parties de la Divine comédie, poëme de Dante.
   Il se dit aussi d'un des enfers ou lieux du supplice décrits dans ce poëme.
   On eût dit qu'on entrait dans l'enfer de glace si bien décrit par le Dante, STAËL Corinne, III, 5.
   Fig. Chose excessivement déplaisante, pénible.
   Hé ! monsieur, si vous le pouvez, sauvez-vous de cet enfer-là [les procès], MOL. Fourb. de Sc. II, 8.
   Ils lui montrèrent [au duc du Maine] les enfers ouverts sous ses pieds par le mariage de Mlle de Bourbon [avec le duc de Berry], SAINT-SIMON 267, 101.
   Au moment où cet enfer [la Bastille] créé par la tyrannie pour le tourment de ses victimes s'est ouvert sous les yeux de la capitale...., MIRABEAU Collection, t. I, p. 346.
   Par extension, les démons, les puissances de l'enfer. C'est l'enfer qui l'a créé. Les enfers ont jeté ce monstre parmi nous.
   Mes amis, J'ai soumis L'enfer à ma puissance ; De son obéissance J'ai pour gage certain Un lutin, BÉRANG. Colibri..
   Un enfer, lieu, réunion, vie commune où règnent la discorde, la confusion.
   Et j'abhorre des noeuds Qui deviendraient sans doute un enfer pour tous deux, MOL. D. Garc. I, 1.
   On a raison d'appeler ces salles [les assemblées de jeu] un enfer, MERCIER Tableau de Paris, t. II, p. 328 (éd. d'Amst. 1782)..
   Se dit, à Londres, des maisons de jeu et des lieux de débauche.
   Désordre, trouble.
   Combien n'a-t-on point vu de belles aux doux yeux, avant le mariage anges si gracieux, Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages, Vrais démons, apporter l'enfer dans leurs ménages, BOILEAU Sat. X..
   Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi, BOILEAU ib. VI.
   Mettre le scandale et l'enfer dans sa maison, J. J. ROUSS. Conf. VI.
   Violente peine qu'inspire la passion ou le remords. Avoir l'enfer dans le coeur. Porter son enfer avec soi.
   Et si l'enfer est fable au centre de la terre, Il est vrai dans mon sein, MALH. V, 21.
   Ils commencent leur enfer sur la terre, BOSSUET Conv. 1.
   Qu'est-il besoin d'aller chercher l'enfer dans l'autre vie ? il est dès celle-ci dans le coeur des méchants, J. J. ROUSS. Em. IV.
   Le supplice d'attendre est l'enfer des amants, BOISSY Impatient, I, 1.
   Furie d'enfer, monstre échappé de l'enfer, personne très méchante.
   Tison d'enfer, porte d'enfer, c'est-à-dire personne capable d'opérer la perte des âmes.
   Votre père Brisacier dit que ceux contre qui il écrit sont des portes d'enfer, des pontifes du diable.... s'amuserait-on à prouver qu'on n'est pas porte d'enfer ?, PASC. Prov. XV.
   D'enfer, loc. adject. Excessif. Faire un feu d'enfer. Mener un train d'enfer. Jouer un jeu d'enfer.
   M. de Vendôme commença à s'apercevoir que ce feu d'enfer par lequel il avait compté de les écraser [les ennemis] ne leur nuirait guères, SAINT-SIMON 209, 63.
   On a joué un jeu d'enfer, cinq sous la fiche, PICARD Petite ville, I, 8.
   Terme de cuisine. Mettre, faire griller quelque chose au feu d'enfer, le faire griller à un feu de charbon très ardent.
   C'est un métier d'enfer, c'est un métier extrêmement fatigant.
   Terme de typographie. Cassetin dans lequel on jette les mauvaises lettres. Vieux. On dit aujourd'hui cassetin du diable.
10°   Terme d'huilerie. Citerne où se réunissent les eaux qui ont été mêlées avec le marc d'olive.
   Les résidus de ces cuviers s'écoulent dans un souterrain qu'on nomme l'enfer.... ce qu'on en tire est l'huile d'enfer, qui est la plus basse sorte, Dict. des arts et mét. Amst. 1767, huilier.
11°   Enfer de Boyle, matras de verre à fond plat et à col effilé, dans lequel Boyle et d'autres chauffaient le mercure pendant des mois et des années.
   XIe s.
   L'enchanteür qui ja fut en enfer, Ch. de Rol. CVI.
   XIIe s.
   L'ame s'en va en enfer osteler, Ronc. p. 62.
   Tu ies pieres, e sur ceste piere ferai M'iglise, e ma meisun i edifierai, E les portes d'enfer par li depecerai, Th. le mart. 79.
   XIIIe s.
   Et li ame de li soit en enfer ravie, Berte, LXXII.
   Certes durement me merveil Comment hons, s'il n'iere de fer, Puet vivre un mois en tel enfer, la Rose, 2606.
   Sacent donques tuit, que lor ames sunt données as ennemis d'enfer, et lor cors as vers, et lor avoirs à lor parens, BEAUMANOIR LXVIII, 15.
   Leenz a une grant meson, Qui lors estoit, en la seson, Plaine de fermes et d'enfers [malades] ; Assez estoit griez [fâcheux] cis enfers, RUTEB. II, 181.
   XVe s.
   Dieu la confonde, Et au parfond de la terre la fonde : Car el porte son enfer en ce monde, AL. CHARTIER le Débat des deux fortunes..
   L'autre des places estoit Bauverne, où les Anglois avoient compassé une fosse nommée enfer, et là ils jettoient les gens qui ne pouvoient ou vouloient rançonner, Hist. de Loys III, duc de Bourbon, p. 16, dans LACURNE.
   XVIe s.
   Mais je ne m'en puis descoiffer ; Je pense que c'est un enfer Dont jamais je ne sortiray, MAROT I, 204.
   Le lict m'est un enfer, et pense que dedans On ait semé du verre ou des charbons mordants, RONS. 798.
   ....de l'enfer il ne sort Que l'eternelle soif de l'impossible mort, D'AUB. Trag. liv. VII.
   Bourg. enfar ; picard, infer ; provenç. infern, yfern, enfern, effern ; catal. infiern ; espagn. infierne ; ital. inferno ; du latin infernus, enfer, proprement lieu bas (voy. inférieur).

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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