malheur

malheur
(ma-leur) s. m.
   Mauvaise destinée. Le malheur le poursuit. Tomber dans le malheur.
   Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Qui les rend ennemis du repos où nous sommes ; La plupart de leurs voeux tendent au changement, MALH. II, 1.
   On appréhende tout étant dans le malheur, TRISTAN Mort de Chrispe, II, 3.
   Le malheur succède au bonheur le plus doux, CORN. Hor. V, 2.
   .... Mais dieux ! que vois-je ! ô ciel ! je suis perdu, Si j'ai tant de malheur qu'elle m'ait entendu, CORN. la Toison d'or, III, 3.
   Enfin, n'en pouvant plus d'efforts et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur, LA FONT. Fabl. I, 16.
   Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu, PASC. Pens. IX, 1, éd. HAVET..
   Le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près, PASC. ib. IV, 2.
   J'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre, PASC. ib..
   Quand je songe à mon personnage, je crains toujours d'avoir des amis : il y a un malheur attaché à tout ce que je protége, MAINTENON Lett. à Mme de Caylus, 5 fév. 1717.
   Titus, pour mon malheur, vint, vous vit et vous plut, RAC. Bérén. I, 4.
   Le malheur des temps, les funestes conditions qu'une époque impose.
   Il en est [des crimes] quelquefois où des coeurs magnanimes Par le malheur des temps se laissent emporter, VOLT. Marianne, I, 2.
   Jouer de malheur, n'avoir aucune chance favorable au jeu.
   Fig. Jouer de malheur, éprouver une contrariété qui résulte du hasard. Je suis venu deux fois chez vous sans vous trouver, j'ai joué de malheur.
   Être en malheur, avoir une mauvaise veine, au jeu ou en toute autre chose.
   Elle [Mme de Ludres] passa une nuit dans les champs, en faisant ce petit voyage, par un carrosse rompu, et tout ce qui arrive quand on est en malheur, SÉV. 23 juin 1677.
   Les puristes du XVIIe siècle condamnaient la locution être en malheur, et voulaient qu'on dît : j'ai bien du malheur, MARG. BUFFET Observ. p. 51, 1668.
   Porter malheur, se dit d'une personne ou d'une chose qui est censée causer du malheur.
   Je porte malheur aux affaires que je manie, BALZ. liv. VII, lett. 52.
   Tant il [Arnauld] porte de malheur aux opinions qu'il embrasse !, PASC. Prov. III.
   Hector : Vous devriez pourtant, en fonds comme vous êtes.... - Valère : Rien ne porte malheur comme payer ses dettes, REGNARD le Joueur, III, 8.
   Oh ! je porte malheur à tout ce qui m'entoure, V. HUGO Hernani, III, 4.
   Avoir le malheur de, avoir la mauvaise chance de.
   Ceux qui auront le malheur d'être vos voisins, FÉN. Tél. XX..
   Avoir le malheur de, est quelquefois un euphémisme pour dire : être assez mal doué.
   Il [Marivaux] avait le malheur de ne pas estimer beaucoup Molière, et le malheur plus grand de ne pas s'en cacher, D'ALEMB. Élog. Mariv..
   Familièrement. De malheur, se dit avec un substantif pour exprimer la crainte, l'aversion.
   Ce greffier de malheur est avec elle, DANCOURT Vacances, sc. 7.
   Pour le malheur de, au dommage de.
   L'Académie française est l'objet de l'ambition secrète ou avouée de presque tous les gens de lettres, de ceux même qui ont fait contre elle des épigrammes bonnes ou mauvaises, épigrammes dont elle serait privée pour son malheur, si elle était moins recherchée, D'ALEMBERT Préface des éloges..
   Absolument. Le malheur, l'ensemble de la mauvaise destinée.
   Le malheur ne sortira jamais de la maison de celui qui rend le mal pour le bien, SACI Bible, Prov. de Salom. XVII, 13.
   J'ai cru dans la retraite éviter mon malheur ; Le malheur est partout ; je m'étais abusée, VOLT. Olymp. II, 2.
   Le temps ne détruit que la fraîcheur et la beauté ; le malheur change l'expression de la physionomie, GENLIS Veillées du château t. II, p. 398, dans POUGENS.
   Le malheur est moins dur à supporter qu'à craindre, DUCIS Oscar, I, 2.
   Le malheur est rapide, et le coeur, tout faible qu'il est, ne doit pas se méprendre aux signes funestes d'une destinée irrévocable, STAËL Corinne, XIV, 4.
   Les paroles, prononcées [par Napoléon] devant deux de ses généraux, étaient écoutées avec ce silence commandé par un ancien respect, auquel se joignait déjà celui qu'on devait au malheur, SÉGUR Hist. de Nap. IX, 8.
   Les gens malheureux.
   Le malheur a sa honte et sa noble pudeur, DELILLE. Pitié, I.
   Poétiquement. Le malheur personnifié comme une sorte de divinité.
   Il dit : comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le malheur, à ces mots, pousse en signe de joie Un long gémissement, Et, pressant l'univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L'éternel aliment, LAMART. Méd. I, 7.
   Événement fâcheux.
   J'ai cru sa mort pour vous un malheur nécessaire, CORN. Pomp. III, 2.
   La France le vit alors accompli par ces derniers traits et avec ce je ne sais quoi d'achevé que les malheurs ajoutent aux grandes vertus, BOSSUET Louis de Bourbon..
   Maintenant qu'elle a préféré la croix au trône, et qu'elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes grâces, BOSSUET Reine d'Anglet..
   Quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas, BOSSUET ib..
   Si aujourd'hui je me vois contraint de retracer l'image de nos malheurs [les troubles de la Fronde], BOSSUET le Tellier..
   Les malheurs sont souvent enchaînés l'un à l'autre, RAC. Esth. III, 1.
   Que tu seras heureux si tu surmontes tes malheurs et si tu ne les oublies jamais !, FÉN. Tél. II.
   Pour achever les malheurs de la Suède, son roi s'obstinait à rester à Démotica [en Turquie], VOLT. Charles XII, 7.
   Et c'est nous trop souvent qui faisons nos malheurs, M. J. CHÉN. Fénel. III, 2.
   Le malheur qui n'est plus n'a jamais existé, M. J. CHÉN. ib. V, 2.
   Ici c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs, LAMART. Méd. I, 14.
   Il arrivera malheur, se dit pour suggérer des craintes au sujet de quelque événement.
   Il arrivera malheur, vous dis-je, si vous n'y mettez la main, VOLT. Lett. d'Argental, 4 mai 1772.
   Faire le malheur de, rendre malheureux. Cet homme a fait le malheur de sa famille.
   Cette beauté [Hélène] qui avait fait le malheur de tant d'hommes, FÉN. Tél. VIII.
   Familièrement. Faire un malheur, causer un accident.
   C'est un malheur, il est fâcheux.
   C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres, VAUVENARGUES. Max. CCLXXXI.
   Ironiquement et familièrement. Le grand malheur, c'est-à-dire il n'y a pas grand mal.
   Voyez le grand malheur ! quel tort cela vous fait-il ?, CHAMPFORT Marchand de Smyrne, sc. 6.
On dit aussi : le beau malheur !
   Malheur à, sorte d'imprécation.
   Malheur au temple, malheur à la ville [Jérusalem], malheur à tout le peuple ! À la fin il ajouta : malheur à moi-même ! et en même temps il fut emporté d'un coup de pierre lancée par la machine, BOSSUET Hist. II, 8.
   Malheur à la créature qui se plaît en elle-même et non pas en Dieu !, BOSSUET ib. II, 1.
   Ah ! chrétiens, les grandes vérités ! malheur à qui ne les croit pas ; malheur à qui les croit et qui vit comme s'il ne les croyait pas !, BOURDAL. Myst. Résurrect. de J. C. t. I, p. 350.
   Malheur à vous, riches avares ; malheur à vous, riches injustes ; malheur à vous, riches orgueilleux ; malheur à vous, riches insensibles !, BOURDAL. Myst. Nativité de J. C. t. I, p. 20.
   Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue Engage un peu trop tard au détour d'une rue [dans Paris] !, BOILEAU Sat. VI.
   Malheur aux coeurs ingrats et nés pour les forfaits, Que les douleurs d'autrui n'ont attendri jamais !, VOLT. Alz. II, 2.
   On le met aussi avec la préposition sur. Malheur sur eux et sur leurs enfants !
   Malheur aux vaincus ! c'est-à-dire les vaincus doivent subir la loi du vainqueur (c'est le vae victis que l'histoire met dans la bouche de Brennus vainqueur des Romains).
   Par extension. Malheur aux vaincus ! tant pis pour ceux qui souffrent de quelque accident ou malheur auquel d'autres échappent.
   Malheur ! s'emploie encore absolument comme exclamation.
   Malheur ! c'est mon neveu ! malheur ! car si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant, A. DE VIGNY le Cor..
   Malheur ! tous nos forfaits l'appellent, Tous les signes nous le révèlent, Le jour des arrêts solennels !, V. HUGO Odes, I, 9.
   Par malheur, loc. adv. Par l'effet d'un accident, d'un hasard malheureux.
   Un petit bout d'oreille échappé par malheur Découvrit la fourbe et l'erreur, LA FONT. Fabl. V, 21.
   Et c'est [le roi de Prusse] un autre Cideville [un ami de Voltaire], Qui par malheur est couronné, VOLT. Lett. en vers et en prose, 76.
PROVERBES
   À quelque chose malheur est bon, c'est-à-dire quelquefois une infortune nous procure des avantages que nous n'aurions pas eus sans elle.
   Quand le malheur ne serait bon Qu'à mettre un sot à la raison, Toujours serait-ce à juste cause Qu'on le dit bon à quelque chose, LA FONT. Fabl. VI, 7.
   Un malheur amène son frère ou ne vient jamais seul.
   Le malheur ou le diable n'est pas toujours à la porte d'un pauvre homme, c'est-à-dire la chance finit par se lasser d'être défavorable.
   Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde, c'est-à-dire il y a des gens qui réussissent là où d'autres se perdent.
   XIIIe s.
   En mal eür, dist Refrangiers, Trop par estes adès maniers [habile], Ren. 2545.
   XVIe s.
   Se ung malheur sur un homme se boute, L'aultre est à l'huys qui la sortie escoute, J. MAROT p. 166, dans LACURNE.
   L'heur que j'avois s'est tourné en maleur : Malheureux est qui n'a aucun confort, MAROT II, 235.
   16 800 escus, qui n'est pour un roy que quatre parties perdues à la paume, ou un malheur de deux heures au jeu de premiere, LANOUE 281.
   Pour neant recule qui malheur attend, COTGRAVE .
   Un fol cerche son malheur, COTGRAVE .
   Bienheureux le malheur qui croist la renommée !, DESPORTES Amours d'Hippolyte, 19, Élégie..
   Mal, et heur (voy. heur) ; prov. malahur. L'ancienne langue avait le mot malheurté, très usité.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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