peur

peur
(peur) s. f.
   Passion pénible qu'excite en nous ce qui paraît dangereux, menaçant, surnaturel.
   Nos prières sont ouïes, Tout est réconcilié ; Nos peurs sont évanouies, MALH. II, 2.
   Es-tu si las de vivre ? - As-tu peur de mourir ?, CORN. le Cid, II, 2.
   Je sentis je ne sais quoi qui pouvait être une peur, je le pris pour un scrupule, RETZ Mém. t. I, liv. I, p. 34, dans POUGENS.
   Nous éprouvâmes en cette rencontre qu'il est bien plus naturel à la peur de consulter, que de décider, RETZ ib. liv. II, p. 173.
   Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle. Eh la peur se corrige-t-elle ?, LA FONT. Fabl. II, 14.
   Nous pensâmes verser mille fois.... ce qui vous surprendra, c'est que je n'avais point de peur, SÉV. 21 août 1677.
   Il n'y a pas moyen d'être si mal et si brouillé avec soi-même ; il faut tâcher d'établir la peur dans son coeur et dans sa conscience, SÉV. mai 1690 (t. IX, p. 508, éd. RÉGNIER)..
   À travers les rochers la peur les précipite [des chevaux], RAC. Phèdre, V, 6.
   En corrigeant une peur par une peur, la peur de la mort par celle de la honte, DIDER. Oeuv. t. III, p. 446, dans POUGENS.
   La peur est une passion dont l'animal est susceptible, quoiqu'il n'ait pas nos craintes raisonnées ou prévues, BUFF. Disc. nat. anim. Oeuv. t. V, p. 351.
   Fi donc, trembler ! mauvais calcul, madame ; quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur, BEAUMARCHAIS Barb. de Sév. II, 2.
   La haine a son courage, et la peur son audace, P. LEBRUN Voy. de Grèce, ch. VI, 1.
   N'avoir que la peur, en être quitte pour la peur, n'éprouver pas le mal que l'on redoutait.
   Ne vous étonnez pas, vous n'aurez que la peur, RACAN Bergeries, II, 4, Polistène.
   Je lui ferai la moitié de la peur, c'est-à-dire je ne le crains pas, je lui rends menace pour menace.
   Avoir peur de son ombre, être très craintif, très poltron.
   Tout l'agite, l'inquiète, le ronge ; il a peur de son ombre ; il ne dort ni nuit ni jour, FÉN. Tél. III.
   Par exagération. Mourir de peur, craindre extrêmement. Je mourais de peur que cela n'arrivât.
   Divinité qui avait des autels en Grèce et à Rome (avec une majuscule en ce sens).
   Il [Alexandre] immola secrètement des victimes à la Peur : il invoqua Jupiter, Minerve et la Victoire, CONDIL. Hist. anc. II, 10.
   Peur se dit, par exagération, en des cas où il s'agit non de péril, mais de ce qui nuit, de ce qui est désagréable, de ce qui inquiète, etc. J'ai eu peur de vous déranger.
   Julie, on nous renferme, on a peur de nos larmes, CORN. Hor. III, 2.
   Est-ce là tout ? dit-il, vous m'avez fait peur, PASC. Prov. V.
   J'avais peur que ce mouvement n'en empêchât un autre ; j'avais peur de vous quitter, j'avais peur de vous suivre ; enfin, ma fille, je craignais tout de ma tendresse et de ma faiblesse, SÉV. 287.
   Mon fils me conseille toujours de faire arrêter la Jarie pour ces treize cents francs.... et de faire un peu de peur à Pasgerant, SÉV. 4 janv. 1687.
   J'ai peur que l'univers, qui sait ma récompense, N'impute mes transports à ma reconnaissance, BOILEAU Épître VIII.
   Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire, BOILEAU Art p. I.
   Faire peur de quelqu'un, faire croire que quelqu'un peut nous nuire, nous faire du mal.
   Faire peur de quelque chose, menacer de quelque chose.
   Je veux m'imaginer que cette colique dont on m'a fait peur, se sera noyée dans les fontaines de Pougues, BALZ. liv. I, lett. 5.
   Ose plus, fais-lui peur d'une prison sévère, CORN. Attila, III, 1.
   Faire peur, se dit de quelqu'un dont la physionomie s'est beaucoup altérée. Elle est changée à faire peur.
   Familièrement. Être mis à faire peur, être vêtu d'une manière bizarre et ridicule.
   Faire peur, se dit d'une personne très laide.
   La noire à faire peur, [est dite] une brune adorable, MOL. Mis. II, 5.
   Comment le garçon le mieux fait s'était coiffé d'un visage à faire peur, HAMILT. Gramm. 10.
   Oui, je voudrais qu'elle [ma maîtresse] fût laide, Mais laide à faire peur, BÉRANG. Laideur..
   Faire peur aux petits enfants, se dit de celui qui excite de vaines terreurs.
   Je suis surpris, mon cher Socrate, de voir que vous ayez tant de goût pour ce misanthrope qui fait peur aux petits enfants, FÉNEL. Dial. des morts anc. dial. 17.
   Faire peur à quelqu'un, lui causer une peur, en sortant subitement d'une cachette, ou de toute autre façon.
   Il leur cria d'un ton à faire peur...., LA FONT. Herm..
   Faire plus de peur que de mal, se dit de ceux qui sont plus redoutables en apparence qu'en réalité.
   Ces Messinois, qui font plus de peur que de mal aux autres, vous font, comme vous dites, bien plus de mal que de peur, SÉV. 460.
   Absolument. Avoir peur, éprouver une certaine peur, une certaine inquiétude.
   La défense, j'ai peur, sera trop tard venue, MOL. Mélic. I, 5.
   De peur, loc. adv. Par l'effet de la peur. Il a consenti de peur.
   De peur de, loc. prép. En craignant que.
   Je me vaincrai pourtant, non de peur d'aucun blâme, Mais pour ne troubler pas une si belle flamme, CORN. Cid, V, 4.
   Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans avoir ri, LA BRUY. IV.
   Molière a dit elliptiquement peur, ce qui était blâmé par Vaugelas : J'empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte, Éc. des f. I, 2.
   De peur que, loc. conj. avec le subjonctif, en craignant que.
   [Chez les Perses] on y marquait [sur un registre] les services que chacun avait rendus, de peur qu'à la honte du prince et au grand malheur de l'Etat ils ne demeurassent sans récompense, BOSSUET Hist. III, 5.
PROVERBES
   On ne saurait guérir de la peur, c'est-à-dire les impressions que fait la peur sont insurmontables.
   Il ne faut point aller au bois quand on a peur des feuilles, ou n'aille au bois qui a peur des feuilles, c'est-à-dire quand on craint un danger, il ne faut point aller où il se trouve.
   On peut bien guérir du mal, mais on ne saurait guérir de la peur.
   Tel menace qui a grand peur.
   La peur grossit les objets, on s'exagère ce que l'on craint.
   La peur n'est bonne à rien, la peur ne guérit de rien, elle est toujours inutile.
   1. Avec avoir peur que, de peur que, on met ne dans le membre de phrase subordonné : J'ai peur qu'il ne vienne ; De peur qu'il ne se blessât.
   Mais en vers on supprime quelquefois ce ne : Mon désespoir n'osait agir en sa présence, De peur que mon tourment aigrît ses déplaisirs, CORN. la Suiv. IV, 10.
   Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galant, MOL. Sgan. 22.
   ....Les pieds nus, de peur qu'on m'entendît marcher, J'ai descendu la pente, LAMART. Joc. III, 88.
   2. Ne d'abord exprimé, puis supprimé après avoir peur que.
   J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là, MOL. D. Juan, I, 1.
   De peur que d'un coup d'oeil cet auguste visage Ne fît trembler son bras et glaçât son courage, VOLT. Henr. II.
   1. PEUR, CRAINTE., Crainte est le terme générique pour toutes les nuances de cette sorte de sentiments ; elle peut être raisonnée et lointaine. La peur est instinctive et présente.
   2° PEUR, FRAYEUR., La frayeur ressemble assez à la peur, si ce n'est qu'elle est toujours plus forte, et moins dépendante du caractère de celui qui la ressent que des apparences de ce qui menace.
   XIe s.
   Nen ont poür ne de murir doutance, Ch. de Rol. LXV.
   XIIe s.
   En amer [aimer] gist hardemenz et paors, Couci, VII.
   Plus ont poor de mort que n'aient de prison, Sax. XXII.
   ....L'enfant jesu.... Que li angles del ciel fist en Egipte aler, Pur la poür d'Erode, Th. le mart. 65.
   XIIIe s.
   Quant li empereres Kyrsac oï que ses fils estoit pris et Morchufles couronnés, si ot grant peour de lui, et li prist une maladie dont il morut, VILLEH. XCVIII.
   Il n'i ot si hardi qui i osast aler, pour paour de sa vie, Chr. de Rains, 118.
   Certes, fet-il, je me gabai ; Ce fis-ge por vos peor fere, Ren. 1787.
   Poor est tremblement de pensée por cause de perill qui est present ou qui est à venir, Digeste, f° 48.
   XIVe s.
   Aucuns maulx sont les quiex il convient craindre simplement et est bien dé avoir en paour, ORESME Eth. 78.
   XVe s.
   Versez de rechief, armez-moi, De paour que quelqu'un ne m'assaille, BASSELIN I.
   Le roy fut adverty de l'arrivée de tous ces gens dessus nommez, si entra en grant paour [à Péronne], COMM. II, 5.
   XVIe s.
   J'ay grant paour que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au laict, RAB. Garg. I, 33.
   Ils n'ozent faire tort à autruy, de peur que l'on ne leur en face à eulx mesmes, AMYOT Thesée, 6.
   Comme ceulx qui de peur du precipice s'y lancent eulx mesmes, MONT. II, 28.
   Puisque vous y estes [en Espagne auprès de François Ier prisonnier], je n'ai point de peur que tout n'aille bien, sinon que vous ne le puissiés garder d'aimer les dames espaignoles, MARGUER. Lett. 73.
   Wallon, pawou ; bourg. pô ; provenç. pavor, paor ; anc. catal. paor ; cat. mod. por, pavor ; espagn. et portug. pavor ; <
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
PEUR. Ajoutez :
   Familièrement. Une peur bleue, une peur très forte, qui rend bleu.
Ajoutez :
   3. Après avoir peur, Régnier a mis le verbe subordonné au futur : J'ai peur que tout à fait je deviendrai rimeur, Sat. II. Cela se trouve aussi dans Balzac : J'ai peur qu'il sera blâmé, quelque raison qu'il puisse alléguer en cette rencontre, et que le blâme s'étendra sur tous messieurs les faiseurs de livres, Lett. inédites, XC (éd Tamizey-Larroque). J'ai peur qu'on trempera M. Saumaise, Lett. inédites, LX., Cela n'est plus usité, mais n'a rien qui contredise la grammaire, si ce n'est la suppression de ne. Il est vrai que cette négation est une imitation du latin timeone, et qu'elle n'a pas du tout le sens négatif en français.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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