bailler

bailler
(ba-llé, ll mouillées, et non ba-yé ; il faut bien prendre garde à ne pas assimiler ce mot à bâiller qui a un a long) v. a.
   Donner. Bailler des coups.
   Un échange Où se prend et se baille un ange pour un ange, MALH. VI, 6.
   Telle je me résous de vous bailler en garde Aux fastes éternels de la postérité, MALH. IV, 4.
   Qui baillent pour raisons des chansons et des bourdes, RÉGNIER Sat. X.
   ... Et baillant à chaque être et corps et mouvements, RÉGNIER Poem. sacré..
   Que l'autre.... Même, s'il est besoin, baille son héritage, RÉGNIER Sat. XIV.
   Ils ne les pourraient quitter sans bailler au monde sujet de parler, PASC. Prov. 10.
   Comme vous baillez des soufflets, MOL. Amph. I, 2.
   Je m'en vais te bailler une comparaison, MOL. Éc. des f. II, 3.
   Je te baillerai sur le nez si tu ris, MOL. Bourg. gent. III, 2.
   Je veux vous bailler ici quelque petite signifiance de ce que j'ai remarqué de la littérature actuelle, P. L. COUR. Lett. 39.
Il vieillit en ce sens.
   
   Dans le langage de l'ancienne chevalerie, bailler sa foi était synonyme de tous les prodiges de l'honneur, CHATEAUB. Génie, I, II, 2.
   En termes de pratique, donner, mettre en main. Bailler à ferme, bailler par contrat.
   Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez, MOL. Scapin, II, 8.
   Familièrement. En bailler d'une belle ; la bailler bonne, belle ; c'est-à-dire chercher à en faire accroire.
   Vous me la baillez bonne, MOL. l'Étour. III, 4.
   Bailler le lièvre par l'oreille, faire de belles promesses.
   Napoléon ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse, P. L. COUR. II, 224.
   Terme de marine. Jeter de la rogue des maquereaux sur les filets traînés par des bateaux, pour prendre des sardines.
   XIe s.
   Il nen est dreiz que Paien te [Durandal l'épée] baillisent [portent], Ch. de Rol. CLXX.
   Charles lui dist : Cuivert, mar le baillastes [vous l'avez maltraité], ib. CCLI.
   Baliganz sire, mal estes hui baillit, ib. CCLV.
   XIIe s.
   [Ils] Ne sorent la corone cui [à qui] donner ne baillier, Sax. IV.
   Puis li bailliez la chartre où li seax d'or pend, ib. XXI.
   L'arcevesque Thomas tut avant s'en ala ; La cruiz arceveskal il meïsmes porta ; à nul ne l'ad baillie, Th. le mart. 39.
   Li autre l'ont laissié tut sul enmi l'estur, Et le corn ont baillié en main à pecheür, Ne l'espée Deu traire n'en osent par poür [peur], ib. 28.
   Trestote Espaigne vous tenrez à bailler [gouverner], Ronc. p. 3.
   Or me bailliez le gant, ib. p. 12.
   Mais ne plut [à] Deu, qui tout a à baillir, ib. p. 55.
   Qui tant fut preuz pour ses armes baillier, ib. p. 99.
   Escu [ils] lui baillent où ot peint un lion, ib. p. 182.
   XIIIe s.
   Et li dus li bailla de vaisseaus et de galies tant comme il li en convint, VILLEH. LVI.
   Et de ce leur baillerent il bonnes chartes pendans, por confermier tout pleinement tex convenances comme il feroient, VILLEH. X..
   À sa mere [elle] le [l'anneau] baille, mout pleure et mout s'esmaie, Berte, VIII.
   Mantiau de fin drap d'or [il] fait à chascun bailler, ib. CXXIX.
   N'il n'i a point d'amor sans faille En fame qui por don se baille, la Rose, 8318.
   Li bers a trait l'espée dont li pons [poignée] fu d'or mier, Vers Sansadoine point, mais ne le pot baillier [tenir, atteindre] ; Car plus va ses chevaus que ne vole espervier, Ch. d'Ant. V, 602.
   Voirs est que li demanderes qui se veut aidier des letres, ne les baurra [baillera] pas, s'il ne li plest, au deffendeur, BEAUMANOIR VII, 24.
   Et aussi se partie me requiert que je li baille conseil, ib. V, 19.
   S'aucuns me prie que je rechoive vingt livres por li d'aucun qui li doit, ou il me baut vingt livres à garder, ib. XXIX, 17.
   Et s'il est si povres, qu'il ne puist baillier nans [nantissements], BEAUMANOIR LI, 7.
   Le roy commanda à monseigneur Jehan de Biaumont, que il feist bailler une galie [galère] à monseigneur Erart de Brienne et à moy, JOINV. 214.
   Se li rois vous avoit baillé la Rochelle à garder qui est en la marche...., ib. 197.
   XIVe s.
   Et les sciences [étaient] communement baillées en grec, et en ce pays le langaige commun et naturel c'estoit latin, ORESME Prolog..
   Une science qui est forte quant est de soy, ne peult pas estre baillée en termes legiers à entendre, ORESME ib..
   XVe s.
   Avisez-vous, seigneurs cardinaux, et nous baillez un pape romain, qui nous demeure, FROISS. II, II, 21.
   Et autres villes baillées par le roy Charles septiesme au duc...., COMM. I, 1.
   Les villes leur bailloient ce qu'ils vouloient pour leur argent, COMM. I, 2.
   XVIe s.
   Je luy baillyz si vert dronos [un coup si sec] sus les doigts, à tout mon javelot, que il n'y retourna pas deux foiz, RAB. Pant. II, 14.
   Bailler une grande somme d'argent au change, MONT. I, 44.
   Plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus on leur baille, plus on les sert, MONT. IV, 351.
   Tu en bailles bien à nos resveurs de philosophes, DESPÉR. Cymbal. 92.
   Il lui bailla sa coquille : Aristide escrivit luy-mesme son nom dessus la coquille, et la luy rebailla, AMYOT Arist. 20.
   Normand, je baurai, je baillerai ; provenç. bailar, baillir ; anc. catal. baillir ; bas-lat. bajulare, diriger, gouverner, de bajulus, tuteur, baile, pédagogue, du latin bajulare, porter ; de sorte qu'un mot qui ne signifiait dans le latin que porter un fardeau, a pris, dans les langues romanes, les sens dérivés les plus étendus : tenir, donner, garder, gouverner, traiter. La conjugaison était double : bailler et baillir, d'où, dans l'ancien français, baillie, autorité, puissance, et bailli. On remarquera aussi le futur, je baurai, conservé dans les patois, mode ancien de conjuguer dont des traces se retrouvent dans je lairrai, forme populaire de je laisserai, et dans j'enverrai.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

Игры ⚽ Поможем сделать НИР

Regardez d'autres dictionnaires:

  • bailler — Bailler, Attribuere, Conferre, Erogare, Praebere, Propinare, Tradere, Transcribere, Tribuere. Semble qu il vienne de {{t=g}}ballô,{{/t}} id est mitto, Car celuy qui baille, emittit a se. Bailler et delivrer, Praestare, dare. Bailler à louage, ou… …   Thresor de la langue françoyse

  • bailler — [ baje ] v. tr. <conjug. : 1> • fin XIe; lat. bajulare « porter » ♦ Vx Donner. ♢ (1594) Mod. Loc. Vous me la baillez belle, vous me la baillez bonne : vous cherchez à m en faire accroire (expr. du jeu de paume). ⊗ HOM. Bayer; poss. bâiller …   Encyclopédie Universelle

  • bâiller — bailler [ baje ] v. tr. <conjug. : 1> • fin XIe; lat. bajulare « porter » ♦ Vx Donner. ♢ (1594) Mod. Loc. Vous me la baillez belle, vous me la baillez bonne : vous cherchez à m en faire accroire (expr. du jeu de paume). ⊗ HOM. Bayer; poss.… …   Encyclopédie Universelle

  • bailler — BAILLER. Mettre en main quelque chose, la delivrer à quelqu un. Il semble que l on confond ordinairement Bailler & Donner; mais Bailler vieillit, & l on se sert plus souvent de Donner dans toutes les phrases mesme où l on mettoit Bailler. En… …   Dictionnaire de l'Académie française

  • bâiller — BÂILLER. v. n. Respirer en ouvrant la bouche extraordinairement et involontairement. Bâiller d ennui. Bâiller de sommeil. [b]f♛/b] Il signifie figurément, S entr ouvrir, être mal joint. Les ais de cette cloison bâillent. Une porte qui bâille. Une …   Dictionnaire de l'Académie Française 1798

  • bâiller — (bâ llé, ll mouillées, et non bâ yé ; il faut avoir bien soin de donner à l a le son marqué par l accent circonflexe) v. n. 1°   Faire un bâillement. Nous bâillons en voyant bâiller les autres. •   Quelque léger dégoût vient il le travailler, Une …   Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré

  • BÂILLER — v. n. Faire involontairement, et en écartant les mâchoires, une inspiration lente et profonde, suivie d une expiration plus ou moins prolongée, quelquefois sonore. On bâille souvent en voyant bâiller les autres. Bâiller d ennui. Bâiller de… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 7eme edition (1835)

  • BAILLER — v. a. T. de Pratique. Donner, mettre en main, livrer. Bailler à ferme. Bailler par contrat, par testament. Bailler et délaisser. Il vieillit. Fam. et par ellipse, Vous m en baillez d une belle, vous me la baillez belle, Vous voulez m en faire… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 7eme edition (1835)

  • BAILLER — v. tr. T. de Pratique Mettre en main, livrer. Bailler à ferme. Bailler par contrat, par testament. Bailler et délaisser. Il a vieilli. Fam. et par ellipse, Vous m’en baillez d’une belle, vous me la baillez belle, vous me la baillez bonne, Vous… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

  • BÂILLER — v. intr. Faire involontairement, et en écartant les mâchoires, une inspiration lente et profonde, suivie d’une expiration plus ou moins prolongée, quelquefois sonore. On bâille souvent en voyant bâiller les autres. Bâiller d’ennui. Bâiller de… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”